De ce livre très dense qui décrit avec une extrême et rigoureuse minutie toutes les étapes du Chemin, nous ne choisirons que l’alpha et l’oméga, les premières et dernières lignes :
Si nous voulons planter complètement la graine des enseignements bouddhistes dans le sol occidental, il nous faut d’abord comprendre les principes fondamentaux du bouddhisme, et en pratiquer les exercices élémentaires de méditation. Beaucoup de personnes réagissent au bouddhisme comme à une nouvelle religion de salut, qui pourrait leur permettre de traiter le monde comme on cueille des fleurs dans un beau jardin. Mais si nous souhaitons cueillir les fleurs d’un arbre, nous devons préalablement en cultiver les racines et le tronc, ce qui signifie travailler avec nos peurs, frustrations, déceptions et irritations, les aspects pénibles de la vie.
Certains se plaignent de ce que le bouddhisme soit une religion extrêmement sombre parce qu’il met l’accent sur les souffrances et le malheur. D’habitude, les religions parlent de beauté, d’harmonie, d’extase, de félicité. Mais, selon le Bouddha, il nous faut en premier lieu faire l’expérience de la vie telle qu’elle est. Percevoir la vérité de la souffrance, la réalité et l’insatisfaction. Nous ne pouvons ignorer cela au profit de l’examen des seuls aspects glorieux et plaisants de la vie. La quête d’une terre promise, d’une Ile au Trésor, ne conduit qu’à un surcroît de souffrances. La terre promise reste inaccessible, et l’éveil ne peut être atteint d’une telle façon. Aussi bien, toutes les sectes et écoles bouddhistes s’accordent-elles sur le fait que nous devons commencer par regarder en face la réalité de nos situations existentielles. Nous ne pouvons commencer par rêver. Ce ne serait qu’une évasion provisoire ; il est impossible de s’évader réellement.
A propos d’évasion, Trungpa raconte:
Lors d’une rencontre sur le cinéma, dans le Colorado, la question s’est posée à nous de savoir s’il valait mieux distraire les gens ou faire un bon film. Pour ma part, j’ai dit que peut-être le public s’ennuierait en voyant ce que nous avons à présenter, mais que nous devons élever son niveau d’intelligence jusqu’au niveau de ce que nous présentons, plutôt que d’essayer constamment de satisfaire son goût pour le divertissement. Une fois que l’on a commencé à essayer de satisfaire le désir de divertissement du public, on ne cesse plus de s’abaisser, jusqu’à ce que toute l’entreprise tombe dans l’absurdité.
( Je me souviens d’une représentation du très beau film de Liliana Cavana sur la vie de Milarépa, l’un des pères de la lignée dont se réclame Chögyam Trungpa. Nous étions cinq dans la salle ! )
Solitude
Le sentier spirituel n’est pas une partie de plaisir, mieux vaut ne pas vous y engager. Mais si vous devez vraiment commencer, alors, allez jusqu’au bout, parce que le travail commencé et interrompu ne cesserait de vous hanter.
Les écritures mahayana comparent l’engagement dans la voie à la plantation d’un arbre. Aussi l’avancée dans le sentier vous contraint-elle à une croissance continuelle, ce qui peut s’avérer terriblement douloureux puisqu’il vous arrive parfois d’essayer de vous écarter du sentier. Vous ne souhaitez pas réellement y entrer pleinement – il est trop proche du cœur, et vous êtes incapable de vous fier au cœur. Vos expériences deviennent trop pénétrantes, nues, évidentes. Alors vous essayez de vous échapper, mais cette évasion provoque une souffrance qui vous incite en retour à continuer sur le sentier. Ainsi vos écarts et vos souffrances font-ils partie du processus créateur à l’œuvre dans le sentier.
La continuité du chemin est exprimée par les notions de tantra du sol, du sentier, et du fruit. Le tantra du sol consiste à reconnaître le potentiel qui existe en vous ; vous faites partie de la nature-de-bouddha, sinon vous ne seriez pas capable d’apprécier les enseignements. Il s’agit de reconnaître votre point de départ, votre confusion et votre souffrance. Votre souffrance est la vérité, elle est intelligente. Le tantra du sentier implique que l’on développe une attitude riche et généreuse. La confusion et la douleur sont vues comme des sources d’inspiration, des ressources riches. En outre, vous reconnaissez votre intelligence et votre courage, votre capacité à être fondamentalement seul. Vous êtes disposés à être opéré sans anesthésie, à vous dévoiler, vous démasquer, vous ouvrir sans cesse. Vous êtes prêt à être complètement seul, une personne solitaire, débarrassée de la compagnie de votre ombre, de celui qui vous suit et vous observe constamment, le perpétuel commentateur.
Dans la tradition tibétaine, l’observateur est nommé dzinba, ce qui signifie " fixation " ou " tenir ". Si nous abandonnons l’observateur, nous n’avons plus rien en vue de quoi survivre, rien qui justifie que nous continuions. Nous abandonnons l’espoir de nous tenir à quelque chose. C’est là un grand pas en direction de la véritable ascèse. Il nous faut abandonner le questionneur et le répondeur, c’est à dire la conscience discursive, le système de contrôle qui vous dit si ça va ou non. " Je suis ceci, je suis cela ". Est-ce que tout va bien ? Est-ce que je médite correctement ? Est-ce que je vais quelque part ? Si nous abandonnons tout cela, comment savoir si nous avançons dans la pratique spirituelle ? Mais peut être n’y a-t-il rien qui ressemble à une pratique spirituelle, sinon une sortie de l’autodéception, et une cessation du combat en vue de nous saisir d’états spirituels. Abandonnez simplement tout cela. La spiritualité ne se situe pas ailleurs.
Chögyam Trungpa -" Le mythe de la liberté ".
Editions du Seuil - Paris 1979.
Source:
www.lequasar.net(taper prose,puis Chogyam Trungpa,puis mythe de la liberté.)